4ème état des lieux : l'Europe, la politique, le cinéma et nous
Nous savions en partant que le budget était plus que serré, que beaucoup de choses étaient incertaines. Nous avions compris que les productions géorgienne et allemande étaient très amateurs et dénuées totalement de rigueur. Nous avons senti très vite sur place que les choses n'allaient pas s'arranger. Et voilà.
Comment la grande Histoire percute nos petites vies.
A ceux qui douteraient encore de l'incohérence des politiques européennes, ce qui suit devrait leur faire comprendre l'absurdité du système qui tend à concilier la générosité naïve des uns avec l'égoïsme hypocrite des autres.
Ce qui pourrait être considéré comme un budget européen dans un but de création artistique concentre à lui tout seul les turpitudes des différences nationales. Et ce film en est la parfaite illustration.
Les producteurs géorgiens, allemands, français et tchèques (par ordre d'importance dans le budget) ont jusqu'à présent été incapables de, non seulement se concerter, mais de planifier les étapes de la fabrication du film. Chacun pensant que l'autre a budgété les dépenses de l'autre. Résultat hallucinant : à la quasi-veille du tournage, les producteurs se sont aperçu que personne n'avait pris en compte les dépenses de tout le département image (salaire du chef op, caméra, pellicule, laboratoire, etc) !
Réflexe immédiat de la production exécutive géorgienne : où peut-on trouver ces sous ?
Les accords de production étant ainsi faits, il apparaît impossible de retirer le moindre euro de la partie allemande, qui ne conçoit sa participation dans un film européen qu'en ne dépensant tout son argent que pour des dépenses allemandes. Par exemple, bien que dans un budget super serré, les allemands ne voient aucun inconvénient à payer plein pot des constructeurs allemands et à dépenser des sommes considérables pour faire venir un container de matériel d'Allemagne (dont des marteaux et des clous... made in Germany !). Inutile de vous préciser qu'on peut trouver tout ce matériel ici en Géorgie, et beaucoup moins cher, ainsi que les compétences humaines. L'orgueil géorgien en prend un petit coup au passage.
Les subventions françaises, elles, sont ouvertes aux quatre vents. Plus précisément, le système français est ouvert aux dépenses à l’étranger alors que le système allemand est très protecteur. Dixit Guillaume (notre producteur), qui en a directement parlé avec le CNC, la France "est toujours plus prompte que les allemands a appliqué les directives européennes".
Conclusion : dans une urgence aveugle, le budget français est tout de suite mis à contribution, et ne peut en aucun cas soutenir ses salariés nationaux. Donc, pour pouvoir dégager de l'argent dans le budget, les productions géorgienne et allemande ont négocié avec la production française de ne plus prendre en charge les techniciens français (nous... on est trop chers !).
En gros, le 1er assistant réalisateur a été échangé à la veille du tournage contre un stock de pellicule !!!
C'est ainsi que nous quittons le projet. Le réalisateur reste les bras ballants, désemparé. Le film n'est pour l'instant pas arrêté, mais il est très mal parti. L'île est loin d'être finie, il n'y plus d'assistant réalisateur pour apporter un peu de rigueur et organiser le tournage, et le budget (mal géré) est loin d'être suffisant. Connaissant George (et la manière dont il a fait son précédent film), il va tout faire pour filmer quelque chose, mais le tournage, déjà prévu en deux parties, ne finira certainement pas toute sa première partie. C'est triste, car c'est un beau projet. C'est d'autant plus pathétique et caricatural que les choix artistiques de la déco allemande vont à contre-sens du scénario.
Bon, nous ne sommes pas du genre à déprimer, alors nous passons au plan B : dépenser des sous non gagnés dans des vacances ! Et nous allons visiter la Géorgie.